Thierry Arcaix

Communication, culture et patrimoine

L'Hérault du Jour

  1. Patrimoine pratique
  2. Un exemple : Bérénice Belpaire
  3. La légende de Vacquières dans l'Hérault
  4. La légende du Roc de Substantion
  5. La Saint Valentin, vue par Noirmica

1- Patrimoine Pratique

Patrimoine Pratique est le titre d'une chronique que vous pouvez lire tous les dimanches dans le quotidien l'Hérault du Jour. Son objectif est de valoriser le patrimoine naturel et culturel de ce petit pays (le département de l’Hérault). Mais un patrimoine souvent ignoré, qui passe inaperçu, celui de l'actuel, du quotidien, du vécu des personnes, des initiatives individuelles ou associatives, avec leurs bonnes ou mauvaises fortunes.

C’est donc un regard décalé, qui tente de recentrer le propos de façon déductive, allant du cas général au particulier, et de donner à voir les petits détails, qui depuis toujours, ont marqué le « vivre ensemble ».

 Un aller-retour permanent entre le macro et le micro, pour essayer de comprendre comment tout ce que nous voyons, créons, transformons, marquons, prend du sens et a des conséquences.

 Alors bien sûr, il ne s’agit pas dans cette chronique d’utiliser le patrimoine pour vous faire faire des kilomètres en voiture, ni susciter de quelconques activités économiques, même si ces textes donnent parfois un coup de pouce à certaines structures (voir chaque dimanche), mais de vous amener, lecteurs, à vous poser certaines questions et à continuer vous même la réflexion, à partir de vous et de votre environnement immédiat…

Si dans ces pages web se trouvent surtout les articles consacrés au quartier Figuerolles à Montpellier, c’est normal, puisqu’il s’agit du sujet de ma recherche universitaire. Peut-être publierai-je les autres un jour, quand cette chronique s’achèvera ou quand j’aurai le temps de le faire. En voici quelques échantillons, y compris ceux commis par la nouvelliste Noirmica. Pour le reste, je vous renvoie donc en attendant à votre débit de presse, tous les dimanches matin…

.Bien à vous, Thierry ARCAIX.

Retour

2- Bérénice Belpaire

Auteure d'un conte de fées interactif et libre d'accès sur Internet...
Télécharger l'article en PDF
Visiter 66gnes

66gnes

Retour

3- La légende de Vacquières, dans l'Hérault

vacquieres

Une fort intéressante, mystérieuse et troublante histoire locale en deux épisodes à propos du pont des Cammaous, situé sur la commune de Vacquières, écrite par la nouvelliste Noirmica, que vous pouvez contacter par l'intermédiaire de ce site. Deux articles également en PDF à télécharger.

Carte post

Premiére partie : Le monstre vous appartient après le pont...

pont cammaousIl se passe des choses bizarres, au pied du Pic Saint Loup. Ou tout au moins il s’en écrit. Avec l’autorisation de Noir Mica, l’auteure, je ne résiste pas au plaisir de vous faire connaître sa curieuse aventure littéraire, en deux épisodes. Une nouvelle à frissonner, donc, qui prend pour cadre un petit village de l’Hérault. D’autant qu’il paraîtrait que tout ce qui y est écrit trois fois est absolument vrai… Mais lisons plutôt ce témoignage.

« Il y a plusieurs années, au cours d’une promenade, je fut fort surprise de trouver, au milieu de nulle part, en bordure de vignes,  au cœur d’un épais buisson de chênes kermès, de buis et de lentisques, un aberrant panneau de sens interdit tout rouillé, criblé de chevrotines,  bien planté sur son poteau.

Cette interdiction saugrenue ne fit qu’accroître mon sens de la transgression et je m’aventurais derrière ces buissons pareils à ceux qui devaient protéger le château de la Belle au Bois Dormant. J’y découvris alors ce que tout le monde au village voisin (je l’appris plus tard) connaissait sous le nom de « pont troué ». C’était un simple arceau de pierres envahi par le lierre, sans parapet, jeté sur le lit sec d’une rivière. Il méritait bien son nom. Son tablier offrait  au sommet de l’arc une large béance de pierre dangereuse pour le quidam non averti. Le Brestalou, puisque c’est  lui qui fit naître cette construction, est une rivière virtuelle, un torrent à sec dix mois de l’année mais dont la renaissance peut être d’une violence inouïe. En témoignent les avants-becs dirigés comme  des fourches du côté où le danger va arriver. On dit que les habitants de Quissac, pour prévenir du danger que représente son grand frère le Vidourle au moment des grandes crues, criaient : Vidourle arrive ! Vidourle arrive ! Ainsi personnifié, le danger devient plus humain. Le Brestalou est un oued dangereux et ce ne sont pas  les sonorités doucereuses de son nom qui peuvent le domestiquer… On ne sait pas exactement où il prend sa source, s’il en prend une, et, véritable époux infidèle, il a plusieurs lits, mais lui peut les occuper tous à la fois.

Le pont troué devint très vite pour moi, une balade nécessaire et incontournable. Personne au village ne s’y rendait jamais, tous portant le connaissaient mieux que moi. En fait, ils s’en fichaient. Savoir qu’il était là leur suffisait ! J’étais bien tranquille !

Un soir,  je me souviens c’était la Saint-Jean. Je n’avais pas envie de me mêler aux festivités stéréotypées. Pas envie de sauter par dessus le feu ! Ce soir là, juste avant la tombée de la nuit, avec mon chien j’étais venue au pont troué. Mon chien connaissait l’endroit mieux que moi : c’était presque toujours le point final de nos balades. Mais, dès le panneau de sens interdit passé, il se mit à gémir plaintivement. Je le fis taire. Il recommença plus doucement. Il s’arrêtait chaque fois qu’il me voyait lever la main mais il reprenait inlassablement dès que je ne le contraignais plus.  Ce n’était pas un jeu, je le sentais bien. Il y avait quelque chose. Je pensais alors qu’il sentait un faisan tapi dans les buissons tant il paraît que ces oiseaux  peuvent retenir leur odeur, mais non ! Il continuait à gémir. Il s’aplatissait au bord du trou, gémissait encore, me lançant des regards mouillés et apeurés. Je voulus le rassurer. Je m’approchai. C’est alors que cédant à la panique, il fit demi-tour et je vis sa petite queue blanche disparaître dans le buisson. Quel peureux ! me dis-je. La nuit était presque tombée. C’était une sorte de  Potron-Minet du soir. J’adore ce moment où le jour n’est plus le jour et la nuit pas encore la nuit : c’est un pont entre deux mondes où tout fait silence, où tout s’immobilise et où les oiseaux se taisent, les cigales stoppent leur  frottement rythmé et lancinant. Le vent lui-même se pose, les branches se figent. Tout n’est  plus que calme.

C’est alors que, du fond du trou, comme sortant d’un puits,  une lueur vacillante faisant naître des ombres fantasmagoriques apparut sur les pierres, leur donnant un relief trop déformé. Je m’approchais. Je crus que des enfants étaient venus là, s’amuser avec des lampes électriques. Je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche pour signaler ma présence car ce que je vis me paralysa. En effet, en dessous de moi,  une haute silhouette sombre encapuchonnée vêtue d’une sorte de robe de bure se déplaçait en maugréant. Elle éclairait son chemin à l’aide d’une énorme bougie, presque un  candélabre dont la lumière créait une sorte de halo jaunâtre. Sa démarche était chaloupée. Le sol était accidenté. Je l’entendais qui murmurait un curieux récitatif.  Je ne comprenais pas ce qu’elle disait. A plusieurs reprises, elle posa sa bougie, effleura les pierres de sa main droite. Elle  revenait en arrière,  recommençait. Que cherchait-elle ?

pont

Deuxième partie : Quand le pont eut un trou de mémoire.

« Le disque argenté de la lune vint se positionner juste au dessus de la scène et éclaira la pénombre. La créature leva la tête. Je n’eus que le temps de me reculer. Nihil semper ! Silve Gautier !  Ei mihi ! Plusieurs fois elle répéta sa litanie. Sa voix était tantôt plaintive, tantôt courroucée. Mes connaissances en latin ne sont pas suffisantes pour que je comprenne son discours mais le ton désespéré de sa voix me touchait. Cet être cherchait désespérément quelque chose dont l’absence le mettait au supplice. Pour moi, le latin est une langue morte, mais trouver là un quidam qui s’exprime dans cette langue me paraissait  plus étrange qu’inquiétant. J’étais couchée sur le pont, sous les étoiles alors que se déroulait un drame que je ne comprenais pas. Qui était cette créature ? Je n’osais plus bouger. Sa souffrance et son désespoir étaient émouvants. Ses gémissements, ses imprécations montaient tels la fumée d’un feu et s’échappaient vers le ciel, volutes ondoyantes que la brise légère transportait. Je n’avais pas peur, je ne ressentais pas cet être comme malfaisant. Je me retournai doucement et j’approchai mon œil de ce gigantesque trou de serrure, espionne sans état d’âme. La créature agita à nouveau son bras gauche ; le geste fit remonter le tissu et dégagea une crécelle. C’était donc ça qu’elle agitait mécaniquement. Soudain, elle leva la tête si brutalement que je n’eus pas le temps de me reculer. Dans ce mouvement brusque, son capuchon tomba sur ses épaules et le visage qui s’offrit à mes yeux était le visage le plus terrible qu’il m’ait jamais été donné à voir.
Un visage peut être séduisant, laid, antipathique, beau, mais rarement repoussant. Là, ce qui s’offrait à mes yeux  n’était pas un visage, c’était une plaie sanglante. Comment être en vie avec de telles blessures. Je hurlai ! Mais qui de nous d’eux eut le plus peur ? Ce qui suivit fut une débâcle de gestes désordonnés, de cris réciproques. Il rabattit son capuchon noir sur ses yeux et sa crécelle désobéissante fit jaillir une fois encore sa pluie de gravier. Il souffla sa bougie et leva son  poing vers moi, ou le ciel, je ne sais.  Tout s’effaça dans l’ombre retrouvée et le noir reprit possession du monde.
Je me retrouvai bientôt sur le chemin du retour. Je courus sans m’arrêter. Je ne me retournai pas, je savais qu’il n’était pas sur mes traces, qu’il n’était pas une sorte de mort vivant venu régler ses comptes avec moi. Sur le chemin, je rencontrai des gens qui revenaient des feux de la Saint Jean : des enfants excités racontaient leurs expériences, les yeux encore plein de flammes. Je ralentis ma marche, essuyai mon front et récupérai mon souffle tant bien que mal tout en rentrant chez moi.
Je n’ai jamais parlé à personne de cette aventure. Je pensais avoir été la seule qui ait jamais croisé la route de ce personnage fantasmagorique. Il exerçait sur moi une sorte de fascination. Je suis retournée plusieurs fois sur ce pont, sans jamais le revoir. Par contre, un soir, en m’approchant, j’entendis des voix humaines, feutrées. J’avançais à pas de loup, tenant mon chien par le collier, le muselant de la main. Les gendarmes étaient là, aux aguets. Je crus reconnaître un ou deux élus parmi eux. Je m’enfuis, sans demander mon reste. Je restais des semaines sans revenir. Curieuse, j’y retournai un jour en plein midi. Cette fois, c’était une équipe de maçons qui travaillaient à restaurer le pont. De curieux ouvriers, relativement malhabiles pour des maçons. Au pied du pont, ils avaient installé des appareils électroniques bardés d’antennes étranges. Leur véhicule était là, ouvert, à l’ombre d’un chêne. Sur le siège, un dossier était ouvert. Tous les documents étaient à l’en tête du CNRS. Que venait faire le Centre National de la Recherche Scientifique ici ? Je lus les feuillets en diagonale : bureau des phénomènes para normaux, apparitions inexpliquées, faille dans le continuum espace-temps. Des bruits de voix se firent entendre. Je disparus dans les fourrés.
J’entrepris alors des recherches historiques. Je voulais comprendre. Mais l’histoire du pont ne me donna aucune piste. En désespoir de cause, je soumettais les propos tenus par ma créature, que j’avais soigneusement notés, à un latiniste. Nihil semper ! Silve Gautier !  Ei mihi ! pouvait être ainsi traduit : Toujours rien ! Le bois de Gautier! Pauvre de moi ! Je recherchais alors ce qu’était le bois de Gautier. J’appris alors qu’il s’agissait, jusqu’au XIIéme siècle, d’un hôpital, situé à une centaine de mètres du pont, à la fois lieu d’hospitalité et de soins. Que s’y était-il déroulé ? Qu’est-ce qui aurait pu sauver cette pauvre créature ?
Aujourd’hui, le pont est scientifiquement rebouché, mais à y regarder de près, sur le tablier, existe une curieuse auréole que j’irai voir, une de ces nuits ».

Retour

4- La légende du Roc de Substantion

Nouvelle. Noirmica revisite pour nous la légende du Roc de Substantion, à Castelnau-le Lez, près de Montpellier (34).

1- Le trésor de Jaumes de Monspelié

plan

Entre 1756 et 1765, Jean-Baptiste Fabre, alors curé de Castelnau, écrivit une curieuse histoire ; c’est la légende du roc de Substantion. Ce roc est un rocher presque à pic qui plonge dans le Lez depuis la colline, en amont de Castelnau. Noirmica, notre nouvelliste, a réécrit cette histoire à sa façon, en deux épisodes. Voila le premier…

Le soleil se couchait en cette soirée de juin 1453 lorsque  Jaumes passa la porte du Pila Saint Gély. Ce soir, toutes les places de la ville allaient s’embraser. Les feux de la Saint Jean illumineraient la nuit et la jeunesse sauterait insouciante et folle, oubliant les affres de la peste. Jaumes, en bon étudiant en médecine, avait passé sa journée à herboriser au bord du chemin de Nîmes. Il ramenait dans sa besace une multitude d’herbes parfumées. Son maître, un apothicaire juif qui lui enseignait ses connaissances, serait content. Jaumes était un escolan très assidu. Les fioles, les cornues, les écuelles, les mortiers qui se trouvaient dans le laboratoire de son maître l’impressionnaient. Le métier d’apothicari ne consistait pas uniquement à piler le poivre ou à peser 3 grains d’hellébore sur un trébuchet. Jaumes avait pu voir son maître à l’œuvre lorsque la terrible faucheuse était passée. Il lui fallait plus de 86 ingrédients pour fabriquer un médicament, la célèbre Thériaque de Monspelié.
Quand il arriva chez sa logeuse, rue de l’Aiguillerie, il trouva une lettre de sa mère et les 13 pistoles que la pauvre femme lui envoyait réguliérement pour payer sa pension. Le texte en était toujours identique. Elle lui disait de bien travailler et exprimait sa joie d’avoir réussi à économiser une fois encore pour son cher enfant. Jaumes avait le cœur tourneboulé à chaque fois mais il espérait bien qu’un jour elle serait vraiment fière de lui...
Il sortit dans la chaleur de la nuit. Une ronde s’était formée près de l’église des Tables et une bande de jouvenceaux et de jouvencelles le prirent par la main et l’entraînèrent dans une sarabande endiablée. Il se retrouva sans l’avoir voulu, attablé devant un pichet de vin doux chez Maître Guillaume, l’aubergiste de la rue du Cannau. Il n’y était jamais entré, repoussé par la réputation sulfureuse de l’endroit. La salle était comble. Les rires, les plaisanteries, les bousculades, les bourrades et les chansons paillardes n’arrivaient pas à couvrir le bruit de castagnettes que faisaient les dés sur les tables. Pour la première fois de sa vie, Jaumes se retrouva assis en train de jouer à côté d’un  grand escogriffe. Celui ci, comme tout joueur averti, le laissa gagner les  premiers coups. A chaque fois, il tournait des as, Jaumes gagnait, riait, inconscient qu’il était de tomber dans un piège. Il serra dans son escarcelle son gain, ébloui de la facilité avec laquelle il l’avait acquis. Il se levait déjà pour rentrer quand son adversaire le retint par le bras . « Tu as la chance avec toi, ne la laisse pas partir » et tout en disant ces mots il le fit se rasseoir. Le ton et surtout le geste étaient sans appel. Jaumes, dominé, reprit sa place. C’est alors que la chance tourna, telle le vent qui fait claquer la voile des bateaux et le grand escogriffe rafla en quelques coups la fortune de notre apprenti. Tout y passa, même les 13 pistoles qu’il avait reçues le matin même de sa pauvre mère. Jaumes ne pouvait se détacher de la table, il était abasourdi par ce qui venait de lui arriver. Le guet frappa et les deux hommes durent quitter le lieu.  Le prenant alors par le bras dans la rue, son partenaire lui dit à voix basse : « Ecoute bien : il y a sur les bords du Lez à Castelnau, un grand rocher, le roc de Substantion. Tous les 21 juin, à minuit, il s’ouvre comme une grenade mûre et offre à qui peut y pénétrer et surtout en ressortir, un trésor fabuleux. Mais tu n’as qu’une heure devant toi, avant que le roc ne se referme. » . Jaumes écouta ses recommandations et  quitta immédiatement la ville, empruntant la vieille poterne de la Salle l’Evêque. Bientôt il courait sur le chemin de l’Aygue-longue, escorté par la lune. Il arriva au moment où minuit sonnait à l’église. Il n’eut pas beaucoup à attendre. Le roc s’entrouvrit sans un bruit. L’eau se partagea comme elle avait du le faire devant Moise et un chemin lui apparut. Une voix caverneuse s’éleva : « De la part du Grand Venant ! Qui veut de l’argent ? » Jaumes se mit à crier comme le lui avait appris son vainqueur : « Baille m’en, Baille m’en ». Puis il s’élança vers le roc entrouvert. A l’intérieur, un véritable labyrinthe de tunnels s’offrait à lui. Il s’avança au hasard. Et soudain ! Mon pauvre, il n’avait jamais vu autant d’or ! Des ducats, des écus d’or, des doublons, des florins, des carolus étincelaient et tous ces rois dont les effigies ornaient les piles et les faces lui envoyaient des œillades narquoises.
Noirmica

2- Le dernier écu d’or tombe à l’eau

roc de Substantion

Bientôt, Jaumes eut peur. Comment retrouver son chemin dans ce dédale de tunnels ? Encore une fois, après avoir gagné, il eut l’impression qu’il allait à nouveau tout perdre. C’est alors que retentit la voix railleuse du joueur de dés : « C’était un piège, Jaumes. En prenant cet or, tu m’as donné ton âme. Mais j’ai envie de rejouer et je te laisse encore une chance. Si dans un an, jour pour jour, tu peux me rapporter ici un seul écu d’or. Tu seras quitte. » Jaumes reprit le chemin de la ville et il sentait à chacun de ses pas tinter les pièces dont il avait rempli son chaperon et ses chausses.
 Alors ce fut la belle vie ! Qui l’avait vu la veille ne l’aurait pas reconnu ! Désormais rien n’était assez beau pour lui. Il avait disait-on , le même tailleur que Jacques Cœur et à chaque minute de sa vie, une troupe d’admirateurs papillonnait,  accrochée à ses basques, riant de ses plaisanteries, adulant ses moindres pensées, banquetant et ripaillant à ses crochets. Les jours filaient, heureux et insouciants. Rien, même pas la peste qui à nouveau frappait à la porte de la ville avec son lot de morts, de panique, rien, ne pouvait arrêter ce tourbillon fou, cette fuite en avant irresponsable. Seul le souvenir de sa mère qu’il avait délaissée ces mois derniers le hantait. Un soir, il décida de lui écrire, mais il resta aussi sec qu’un abeuradou de la garrigue au mois d’août. Cet après midi là, ce fut sa table bancale qui l’interrompit dans son travail. Il coinça un de ses écus d’or sous le pied pour rétablir l’équilibre mais, déjà, on l’appelait dans la venelle, alors il abandonna sa lettre pour rejoindre le groupe de fêtards qui l’attendait. De temps en temps, cependant, au milieu de ce bonheur, une ombre lui gâchait son plaisir. Il se rappelait l’échéance qui l’attendait mais il avait encore tellement d’argent qu’il lui paraissait impossible de ne pouvoir rapporter au moins un écu. Pour calmer son angoisse, il cachait de ci, de là, dans un pot, dans le tronc d’un arbre, dans les trous du mur, un écu d’or, comme les chiens qui enterrent leurs os en prévision de la disette, mais comme eux, il oubliait ses cachettes. Sa vie n’était que délassement , plaisir et étourdissement.  L’après midi , après son repas, il allait sur les bords du Merdanson se promener avec une troupe de jouvenceaux ou bien  tirer à l’arbalète dans les jardins de Figueyrolles. Sa fortune diminuait fortement. Il s’en inquiéta. Pour se renflouer, il s’essaya au commerce mais il tomba sur des escrocs. Il confia  tout son or à un marchand Génois qui devait acheter pour lui un navire afin de sillonner la Méditerranée et d’en ramener de ces épices qui font la richesse de Monspelié. Une galée, dont il ne vit jamais la couleur… Peu à peu, ses amis s’étaient évanouis comme neige au soleil. Un matin, à sa grande surprise, la Saint Jean était de retour, on préparait sur tous les plans de la ville, des bûchers et il n’avait plus un seul écu, il était ruiné. Il rentra chez lui et sur sa table poussiéreuse, il retrouva le parchemin qu’il avait voulu envoyer quelques semaines auparavant à sa mère. La pauvre si elle savait ! Puis tout à coup il se rappela l’écu d’or qui calait sa table boiteuse. Il était sauvé ! Ce soir là, il irait au rendez vous près du roc de Substantion. Il attendit devant, patiemment. A minuit, le roc resta immobile. Alors Jaumes saisit son écu, se pencha et le fit  ricocher sur l’eau du Lez. L’écu rebondit, aérien, rasant l’eau comme une hirondelle, frappa le roc en sonnant et disparut à sa base avec un plouf de rainette. Le poids terrible qui oppressait Jaumes disparut immédiatement et c’est en sautant de joie comme un cabri, qu’il revint vers la ville.
Son premier geste le lendemain, fut de retourner voir son vieux maître. Il ne savait comment l’aborder, comment lui expliquer son abandon. Il le trouva au milieu de son laboratoire comme s’il l’avait quitté la veille. Il était occupé à surveiller une cornue. Un liquide noir, épais, nauséabond glougloutait dans le fond. C’est à peine si son maître le regarda. « Tu tombes à pic, mon garçon ; la Thériaque est prête, nous allons pouvoir recommencer à affronter la peste ». le maître prit son manteau et son masque et entraîna son élève dans la ville jusqu’à l’hôpital . Ils rencontrèrent sur leur chemin une procession qui se rendait au puits de Saint Roch. Ils assistèrent à des actes de folie collective due à la panique. Paradoxalement, Jaumes, lui, n’avait plus  peur. Il soigna toute la journée des malades, réconforta des mourants. Rien ne l’effrayait plus. Quelques mois plus tard, Jaumes passa son actus, il devint un médecin très célèbre. Comment décrire l’immense joie de sa mère, quand elle le vit sur le parvis de l’église saint Firmin, revêtu des insignes et du bonnet carré de son grade ?

Noirmica, légende parue dans l'hérault du Jour les 12 et 13 avril 2009.

Retour

5- La Saint Valentin vue par Noirmica

Dites le avec des fleurs !!!!

La pluie battante sur les carreaux ! Encore une bonne journée en perspective ! Une journée de travail ,c’est déjà pas drôle mais quand en plus, le temps y met du sien, ça peut devenir franchement galère. Juliette, comme presque tous les matins, était en retard. Un coup d’œil par la fenêtre lui avait suffit pour la persuader que cela allait être très dur : il allait falloir se munir d’un parapluie qui allait l’encombrer toute la journée,  prendre le tram avec, où il allait lui dégouliner sur les pieds, se faire éclabousser  par les voitures…Elle était déjà fatiguée. Le temps lui donnait envie de pleurer. Elle n’avait plus la force de continuer de se battre : les journées qui défilent à cent à l’heure, les courses du samedi au pas de charge, les voisins du dessus, les problèmes de parking, les résultats ou plutôt l’absence de résultats de son fils au lycée, tout lui pesait. La radio, ce matin, ne l’aidait pas non plus. Le journaliste un brin autiste, un brin décalé depuis le début de la matinée ne parlait que de la Saint Valentin. C’est vrai que c’était le 14 Février mais oublier à ce point la réalité des choses, la difficulté de la vie des gens  lui était insupportable. D’abord qui c’était ce Valentin ? Qu’est ce qu’il avait bien pu faire pour être le patron des amoureux ? Elle, ça faisait longtemps qu’elle n’avait plus eu d’amoureux. Pas le temps ! Ou peut-être plus l’envie, elle ne savait pas. La pendule au dessus de la table lui signala qu’elle n’aurait bientôt plus de temps du tout. Il fallait  encore qu ‘elle réveille son fils avant de partir si elle voulait être sûre qu’il aille au lycée. Hier il lui avait demandé ce qu’il pourrait offrir à sa copine ; il n’avait pas d’idée disait-il. Elle avait pensé :ça commence bien ! Mais qu’est ce qu’ils avaient tous avec ça ? Cela faisait plusieurs jours déjà que les radios, les panneaux publicitaires vous harcelaient avec ça. Il fallait monter son amour, ne pas oublier la date. Après,  tout le reste de l’année, de la vie, il était permis d’ être odieux. Elle avait beau se dire que c’était une fête  commerciale, d’ où l’amour  était absent, cela la renvoyait à sa solitude, la marginalisait encore plus. Pourtant elle se disait qu’avec un prénom  prédestiné comme le sien , elle aurait du être au cœur de l’amour même. Tous ces amoureux : Roméo et Juliette, Héloïse et Abélard, elle ne les enviait pas. S’il fallait mourir à l’adolescence ou perdre des attributs importants pour faire partie de la caste des amoureux, cela ne l’intéressait pas. Seul le sort de Philémon et Baucis l’émouvait. Dans une deuxième vie ,elle se serait bien vue en tilleul avec ses branches éternellement  enlacées autour de son amoureux mais fallait-il encore être sûr de celui là. Vous imaginez-vous attaché pour  l’éternité avec un quidam insupportable ? Il ne fallait pas se tromper ! L’amour autrefois avait tout de même une autre allure : Maintenant, la société de consommation était passée par là. Comme sa collègue de bureau qui, radieuse, lui avait montré l’offre de séance de thalasso que son mari lui avait offerte. Elle , s’il y avait eu encore quelque Jules auprès d’elle, elle la lui aurait jetée à la figure. Quoi ? je ne suis pas assez belle pour toi ? Mais regarde toi !
Il fallait vraiment maintenant qu’elle se dépêche. Elle tambourina sur la porte de la chambre de son fils et sans attendre de réponse, elle saisit dans le même élan, son manteau, son parapluie, ses clés ; Elle ouvrit sa porte et, là, elle s’arrêta pile. . Sur le paillasson, un bouquet de fleurs était couché, non pas nonchalamment comme sur une tombe ou en vrac au milieu de dizaines d’autres bouquets commémoratifs mais élégamment, artistiquement. Elle se baissa lentement, le cueillit. C’était des violettes. Leur parfum délicat lui chatouilla les narines. Il n’y avait aucun papier pour les envelopper. C’était un morceau de nature , un bouquet champêtre, simple et délicieux. Le violet est la première couleur du printemps. Les iris, les muscaris, le lilas, la glycine et les violettes sont sur les starting- blocks du printemps. Elle appréciait cet ordre savant, inamovible .
Elle regarda à droite et à gauche dans le couloir, personne ! Elle était étonnée, elle ne savait pas ce qu’elle devait faire. Elle porta les fleurs jusqu’à ses lèvres. Il n’y avait pas de carte, pourtant elles  lui étaient  destinées. C’était devant sa porte qu’elles avaient été déposées. Cela la réconforta, elle n’aurait pas aimé qu’une signature débile vienne ternir son bouquet aléatoire : "Ton gégé ou ton Loulou adoré". Elle préférait l’anonymat total, le mystère plutôt que les mots d’amour ronflants . Elle avait appris à se méfier des mots. Les écrits restent, ils enferment les sentiments dans leur calligraphie noire, étriquée, trompeuse. Elle referma sa porte, entra chez elle.. Elle choisit un joli vase, y plaça les fleurs et mit le tout sur sa cheminée.
Ca y était, elle était définitivement en retard. Elle s’élança dans l’escalier. La pluie avait cessé, un rayon de soleil transperçait le gris du ciel comme une épée. Quand elle monta dans la rame du tram, un parfum de violette se répandit.

Un conte de Noirmica, paru dans l'Hérault du Jour le 14 février 2009

Retour

 

 

 

mél : thierry.arcaix@wanadoo.fr ; tél : 06 23 10 62 21